Prix International de la Ville de Genève 2000
Le Capitaine Écarlate,
Marcinelle, éditions Dupuis, 2000
dessin de Guibert et scénario de David B.
Chez Emmanuel Guibert, vous chercherez vainement un style caractéristique, qui s'affine et s'affirme au fil des albums et qui devient en quelque sorte une marque de fabrique. C'est que ce dessinateur français de 36 ans estime "qu'à chaque album correspond une façon de dessiner". II cherche les correspondances entre le trait et le propos, explore les différentes techniques et un beau jour se lance, dans une sorte d'improvisation étayée par ses recherches et son scénario.
Son premier album, "Brune",
sort en 1992 dans un style très travaillé, classique, presque hyperréaliste.
Pour la délicieuse "Fille du professeur", cette
histoire de momie du British Museum qui se réveille à l'époque
victorienne, Guibert pense aux films burlesques du début du cinéma. Dans
"La guerre d Alan", l'ampleur du projet (mille pages et
quinze ans de travail prévus) et le propos, les souvenirs authentiques d'un
soldat américain, poussent Guibert "à dessiner vite, dans un style simple
et allusif, pour évoquer l'apparence du souvenir".
Pour "Le Capitaine Écarlate", enfin, son style
évocateur et dynamique, tout en demi-teintes à dominantes jaunes, bleues,
rouges ou violettes et aux noirs très présents, a été inspiré à Guibert
par les bois gravés de la fin du XIXe siècle.
"Le Capitaine Écarlate" est parti d'une rencontre avec David B. Les deux hommes se découvrent une passion commune pour un écrivain méconnu, Marcel Schwob, mort en 1905, féru de pirates, d'histoires extraordinaires, d'argots de tous les temps et de littératures de toutes les latitudes, brillant érudit et conteur étincelant. Suivant le conseil de Schwob, pour qui un biographe " n'a pas à se préoccuper d'être vrai", David B. concocte une vie fantasmée de l'écrivain parisien qui, pris dans ses obsessions, devient le jouet, et non plus l'auteur de son récit.
Dans cette aventure fantasmatique et hallucinatoire, le souffle de l'imaginaire nous emporte dans un tourbillon aussi puissant que la tempête provoquée à volonté par le Capitaine écarlate et nous fait perdre la tête comme ses pirates, ex-petits boutiquiers pétris d'ennui qui se coupent la tête et la remplacent par celles de truands pour partir à l'aventure et écumer le ciel de Paris à bord d'un trois-mâts de rêve. Ou de cauchemar pour les grippe-jésus, les policiers qui le traquent à bord de dirigeables entre Champs-Élysées et tour Eiffel.
On l'aura compris, au-delà d'un récit onirique à la fois truculent et subtil, c'est aussi d'une réflexion sur l'imaginaire et la création qu'il s'agit. Marcel tourne le dos à la réalité quand il découvre avec étonnement l'existence de la Bibliothèque générale de l'aventure, où il entre par effraction, et c'est en montant au grenier qu'il se retrouve sur le pont du grand voilier... Et, tel Shéhérazade dans "les Mille et Une Nuits", c'est littéralement pour sauver sa peau qu'au bout d'une planche il doit, dans une des plus belles pages de l'album, raconter des histoires aux pirates subjugués, alors qu'ils s'apprêtaient à le faire passer par-dessus bord. Et, bien sûr, Marcel l'aventurier commence à raconter une nouvelle de Marcel l'écrivain, "Le roi au masque d'or", publiée en annexe de l'album.
A. Hz
Bibliographie de Emmanuel Guibert